L'impact de la lumière sur les chevaux.

Aujourd'hui, je vous propose un article qui change un peu car il aborde un sujet dont je ne connaissais presque rien et qui sort des sentiers battus des connaissances équestres, puisqu'on entre vraiment dans un niveau de "détail". Même si nous savons que la majorité des êtres vivants réagissent à la lumière (vitamine D apportée par le soleil, rythme de vie calé sur la distinction jour/nuit...), nous ne réalisons pas toujours l'importance de la lumière naturelle sur le cycle de vie de nos chevaux, et les conséquences quand ils sont détenus enfermés, à la lumière artificielle (aka le box en intérieur). Cet article se base en très grande partie sur la traduction de l'article "Comment la lumière affecte votre cheval" publié dans la revue The Horse.



Comment la lumière est perçue par le corps du cheval


L'article ne peut débuter sans quelques connaissances basiques sur la lumière et quelles informations elle apporte au cheval. Tout d'abord, il faut savoir qu'il y a plusieurs types de lumière selon leur longueur d'onde et qu'elles ne sont pas toutes égales au niveau des effets sur le corps. Les deux qui vont nous intéresser sont la lumière bleue, très présente dans la lumière du jour naturelle, et la lumière rouge, proche de la lumière de la nuit

La lumière entre dans l’œil du cheval, est captée par les photorécepteurs (des cellules) de la rétine qui envoient alors un message au cerveau pour que celui-ci indique à tout le corps à quel moment de la journée/année il se trouve en fonction de la luminosité (en bref). La lumière va donc réguler le rythme circadien (= tous les processus biologiques cycliques sur une journée, comme dormir) et le rythme circannuel (= tous les processus biologiques cycliques sur une année, comme la production de poils l'hiver) du cheval. La lumière bleue (qui est la lumière du jour, si vous avez suivi) est celle qui stimule le plus les photorécepteurs des yeux et donc qui va réguler le rythme circadien. Les lumières artificielles (fluorescentes et incandescentes) que l'on utilise le plus souvent dans les écuries n'ont que peu d'effets biologiques car elles contiennent très peu, voire pas du tout, de cette fameuse lumière bleue.

Lorsque les photorécepteurs de la rétine captent de la lumière, ils envoient leur message au cerveau via des transmetteurs. La mélatonine est l'un d'eux. C'est une hormone produite dans le noir et donc très sensible à la lumière. Elle sert en quelques sortes d'horloge biologique aux animaux : lorsque son taux augmente avec la baisse de la luminosité, elle provoque l'endormissement. Lorsque son taux baisse avec le rallongement des journées au printemps, elle indique le bon moment pour se reproduire.

Retenez donc : la variation de lumière et l'alternance de cycles jour/nuit a un effet journalier (circadien) ou annuel (circannuel) sur la physiologie et le comportement du cheval. La lumière du jour (lumière bleue) est celle ayant le plus d'impact, via l'augmentation ou la baisse de mélatonine dans le corps du cheval. 

Utilisation de lumière rouge pour les chevaux
Utilisation de lumière rouge dans les écuries la nuit
(comme dans les sous-marins !) - Crédit : Equilume.com



Les effets de la lumière sur le cheval


Barbara Murphy, professeur assistante à l'Université d'Agriculture et de Science de l'Alimentation de Dublin (Irlande) a étudié la manière dont les cycles circadiens et circannuels de la lumière affectent les chevaux. Elle a ainsi montré que l'activité physique, la température, la cadence des battements de cœur, la pression artérielle, le taux d'hormone, la qualité du sommeil (rien que ça !) sont modifiés selon l'exposition à la lumière qui règle l'horloge interne des chevaux. Pour mieux se représenter ces effets, voici quelques exemples concrets.


  • La lumière a un effet sur le cycle de reproduction des chevaux
Les variations de luminosité au cours de l'année changent la libido des entiers, leur concentration de sperme et leur niveau de testostérone, qui connaissent un pic pendant les longues journées d'été. La lumière bleue du jour, la lumière rouge de la nuit et l'obscurcissement ou l'illumination graduelle au crépuscule ou à l'aube peuvent améliorer les niveaux de testostérone pendant toute la saison de reproduction.

Du côté des juments, leurs cycles reproductifs sont dictés par leur rythme circannuel, lui-même lié aux changements de luminosités. En général, la "saison des amours" se trouve entre avril et octobre, là où les journées sont les plus longues et le taux de mélatonine le moins élevé (celle-ci ayant pour effet de supprimer d'autres hormones impliqués dans le processus de reproduction).

Mais les éleveurs, notamment de Pur-Sang Anglais de course, cherchent de plus en plus à faire naître des poulains en début d'année afin de correspondre au calcul d'âge officiel (on considère chez les chevaux de sport qu'ils prennent tous 1 an au 1er janvier). Pour permettre cet acte en contradiction avec le cycle naturel de reproduction des chevaux, les éleveurs ont pendant longtemps utilisé des systèmes d'éclairage d'écurie à la lumière bleue pour simuler la luminosité plus intense et longue des journées de printemps et ainsi faire baisser le taux de mélatonine des juments et déclencher leur ovulation. L'utilisation d'une lampe de 100 Watts dès début décembre peut ainsi faire avancer le cycle de reproduction de 3 mois ! Mais ce système est contraignant et coûteux : l'éclairage doit être allumée de longues heures et les juments doivent être gardées au box pour être exposées suffisamment.
C'est pourquoi des masques projetant de la lumière bleu dans un œil ont été inventés pour produire le même effet, tout en permettant aux juments de rester au paddock où elles sont plus détendues et donc plus fertiles...! En moyenne, au bout de 70 jours de port du masque, les juments ovulent.
Cependant, ces manipulations d'apprentis sorciers ne sont pas sans conséquences : ces grossesses tardives s'accompagnent de temps de gestation plus longs, ce qui décale au fur et à mesure les naissances, et de poulains avec un poids de naissance plus léger que les poulains nés pendant la saison de reproduction.

Utilisation de la lumière pour faire ovuler les juments
Masque Equilume de "thérapie par lumière bleue" faisant
ovuler les juments - Crédit : Equilume.com


  • La lumière peut augmenter les performances sportives
Les recherches de Murphy ont également montré une corrélation entre les performances physiques et le rythme circadien. Si un cheval est entraîné chaque jour à la même heure, les gènes de ses muscles vont "apprendre" à donner le meilleur de leurs capacités à ce moment précis de la journée (repéré grâce à la luminosité) ! Le cheval sera donc plus performant chaque jour sur la même "plage horaire". Les muscles semblent donc être également soumis à un rythme circadien de 24h.

  • La lumière affecte la production de poils d'hiver
La pousse du poil d'hiver se fait en réaction aux jours qui raccourcissent et à la luminosité plus faible en journée, et non pas en réaction aux chutes de températures comme on le pense souvent ! C'est pourquoi les chevaux vivant au box en écurie fermée (sous une lumière artificielle donc) ne produisent que peu ou mal leur poil d'hiver puisque leur rythme circadien n'est pas stimulé en l'absence de lumière naturelle dite lumière bleue.

  • Les chevaux peuvent aussi souffrir de décalage horaire
Les chevaux calent leur journée et leur rythme biologique sur la course du soleil. Les chevaux de sport qui voyagent à l'autre bout du monde sont donc aussi surpris que nous du décalage horaire : sommeil perturbé, troubles gastro-intestinaux, difficultés de concentration... Le rythme de leur corps n'est plus en phase avec le rythme de la journée. Il leur faut environ 11 jours pour pouvoir s'adapter à ce changement. L'installation et l'utilisation de lampes à lumière bleue pour simuler la lumière du jour ou de lampes à lumière rouge pour simuler la nuit peut donc les aider à faire une transition en douceur et à réduire les effets du décalage horaire.



Le dernier mot Jean-Pierre...


Cet article ne révolutionnera pas la gestion de mon cheval au quotidien (notamment car je ne fais ni élevage, ni concours et que mon cheval sort en extérieur chaque jour), mais je l'ai trouvé particulièrement intéressant pour la compréhension de la physiologie du cheval. Et puis je suis tout simplement curieuse et assoiffée de connaissances concernant les chevaux !

Se caler sur le rythme de la nature, de la luminosité propre à chaque saison, permet tout simplement au cheval d'optimiser son fonctionnement (se reproduire aux périodes les plus propices pour la mise à bas, faire son poil quand il faut) et assurer sa survie. Les rythmes circadiens et circannuels affectent les chevaux physiologiquement, métaboliquement et au niveau du comportement. La mélatonine n'est pas la seule hormone en jeu et elle impacte de nombreux phénomènes physiques : l'immunité, la fatigue, les chaleurs, la libido sont influencés par sa production (qui dépend de la lumière).

Encore une fois, cette connaissance apporte une pierre de plus au plaidoyer contre la vie en box ferme, privée de lumière naturelle. Mais plutôt que de revenir à une gestion des chevaux raisonnée et respectant leurs besoins fondamentaux, l'humain préfère se servir de la technologie pour pallier les carences qu'il créé lui-même. Pire, c'est à mon goût un pas de plus vers la déshumanisation ou "désanimalisation" des chevaux : on peut lire sur le site d'Equilum, marque commercialisant des masques à lumière bleue, qu'ils sont "leader en recherche et développement de luminothérapie pour soutenir l'industrie des chevaux et maximiser l'efficience et la performance de la reproduction". L'emploi de tous ces termes techniques, en rapport avec l'accroissement et le marketing, me dérange lorsque l'on parle d'êtres vivants qui ne peuvent être réduits à un chiffre de rendement. Mais l'utilisation de nos connaissances à bon ou mauvais escient est un autre débat... qui sera peut-être abordé dans un prochain article.





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