C'est l'excuse que l'on entend désormais le plus souvent dans la bouche des cavaliers. Pas le temps au sens de la météo, quoique certains sont assez frileux quand il s'agit d'aller sortir son cheval sous la pluie. Non, mais bien le temps qui s'égrène en heures, minutes, secondes. Sauf qu'avec les chevaux il faut plutôt compter en semaines, mois et années. L'équitation est bel et bien un sport de patience.
Je vous ai perdu là ? Reprenons depuis le début. Que vous répond-on si vous parlez des bienfaits des pieds nus avec un cavalier dont le cheval est ferré ? "Oui c'est intéressant, mais je n'ai pas le temps de faire la transition, de ne plus sauter pendant X semaines". ¨Pourquoi mettre un enrênement ou un mors plus dur au lieu de travailler sur le plat ? "Je vais le faire, mais c'est pour gagner du temps, tu comprends je suis en concours ce week-end alors...". Pourquoi ne pas faire vivre son cheval au pré ? "C'est vrai que ce serait chouette pour lui mais ça prend du temps d'aller le chercher, de le brosser pour enlever toute cette boue". Pourquoi ne pas faire plus souvent des balades, des séances de jeu, de détente ? "Oui c'est bien beau mais ça fait perdre du temps dans notre progression sur le plat !".
Et maintenant, même le marketing équestre s'y met ! Il n'y a qu'à voir le foisonnement d'objets connectés qui promettent, entre autre, un gain de temps puisque vous n'avez plus besoin de passer du temps auprès de votre cheval à le surveiller, apprendre à le connaitre, aiguiser votre œil pour reconnaître quand ça ne va pas puisque ces fabuleux petits objets vont de toute façon le faire pour vous via un rapport bien détaillé. A ce rythme, c'est sûre qu'on économisera de précieuses heures puisque le cheval sera relégué au même rang qu'une moto: remisé au box, qu'on ne viendra voir que pour monter dessus quand tous ses paramètres seront au vert (temps de repos, cardiaque etc).
Les cavaliers sont friands des belles citations et celle du film Danse avec lui concernant le fait que l'on monte depuis 1000 ans a bien marqué les esprit. Moi, la phrase que j'ai retenue, c'est quand le vieux maître demande "Et qu'est-ce qu'on donne si on ne donne pas de son temps ?"... Une vraie question dont la réponse trace les contours d'une philosophie équestre, et même de vie. On dit qu'avec les chevaux, il faut accepter de perdre du temps pour en gagner. Ce dicton est vrai mais la tournure ne me plait pas car pour moi, du temps passé auprès des chevaux à affiner mon savoir, ma sensibilité, mon œil ou tout simplement du temps passé à apprécier leur présence n'est jamais perdu. Combien de fois n'a-t-on pas entendu un cavalier ravie dire que depuis qu'il a pris le temps de revoir les bases avec son cheval, il a atteint un bien meilleur niveau qu'avant ? Croyez vous que tous ces couples si complices qui nous font rêver n'ont pas pris le temps de se connaitre et se faire confiance avant d'arriver à de tels résultats ? Comment pouvons-nous espérer devenir de vrai(es) hommes et femmes de cheval en se laissant nous éloigner de plus en plus des chevaux ? Comment espérer voir son cheval s'épanouir si on ne prend pas le temps d'établir une vraie relation avec lui ? Si on ne lui donne pas le temps de se réadapter et de vivre sa condition de cheval ? Bientôt on ne saura plus jauger l'état d'un équidé, s'en occuper en autonomie ni rien puisque nous nous en remettrons totalement à des petits gadgets. A peine saura-t-on encore monter car pour bien entraîner et monter un cheval, encore faut-il comprendre comment il fonctionne et vouloir prendre le temps de réussir à progresser sans artifices.
Qu'on se le dise, je ne suis pas contre les avancées technologiques et les aides artificielles, mais quand elles sont utilisées avec raison et parcimonie et ne remplacent pas le travail du cavalier... et n'empiètent pas sur la relation avec le cheval. Cessons d'être impatients, Rome ne s'est pas construit en un jour. Prenons le temps de prendre du recul, de mûrir nos erreurs, de construire sainement, de partager avec nos équidés, de les écouter. Cessons de penser en terme de temps que nous perdons mais plutôt en temps que nous leur donnons. Tout simplement : dans votre quotidien de cavalier, n'essayez plus de gagner du temps mais d'en prendre. On doit bien cela à nos chevaux, non ?