Course et dressage, jockey et cavalier, hippodrome et manège... Un monde semble séparer l'équitation classique des courses hippiques, et pas seulement à cause du vocabulaire. L'écart s'est creusé et se creuse encore à cause de la mauvaise image qu'ont les cavaliers de cet univers équin particulier. Bien souvent, ces préjugés sont basés sur une méconnaissance du turf et sur la colportation d'idées reçues. Et si on regardait enfin les courses de manière objective?
Des préjugés sur les courses hippiques ancrés malgré nous
Si vous avez fait un tour sur la page "Publications" du blog, vous avez sûrement pu lire que j'ai travaillé pendant 4 mois comme journaliste web chez Zone-Turf ; (vous l'aurez deviné) un site de courses hippiques. Moi, la cavalière en constante recherche de la pratique la plus respectueuse des chevaux, j'ai appris à aimer les courses. Surprise, "respect" et "hippodrome" ne sont pas forcément en contradiction !
J'ai débarqué là, n'y connaissant pas grand-chose, avec mon bagage de cavalière dressée aux idées populaires "les courses c'est juste pour le fric, c'est violent, les chevaux sont maltraités à coups d’enrênements et de cravache, on entrave les trotteurs, les mauvais chevaux vont à la boucherie, C'EST LE MAL !". Ces propos, tout le monde les a déjà entendus, bien qu'ils ne soient étrangement jamais appuyés par des exemples précis et argumentés (c'est la sœur du cousin à machin qui a dit que...). Malgré ça, j'avais comme la majorité d'entre-nous (je pense) quelques a priori. Car à force de s'entendre répéter ces petites remarques, elles finissent par s'insinuer l'air de rien dans notre esprit et par s'y enraciner. On acquiesce quand on entend des critiques alors qu'on a parfois jamais mis le pied sur un hippodrome. Et, il faut l'avouer, on fini par juger notre discipline comme supérieure car plus respectueuse des chevaux d'après tous ces on-dit. Nous sommes cavaliers car nous aimons les chevaux, ils sont jockeys ou driver car il y a gros en jeu. Et le terme est important, car les courses hippiques peuvent être considérées comme un jeu d'argent alors que l'équitation est un sport. Cette différence, sur laquelle on ne met peut-être pas consciemment le doigt, explique également ce sentiment d'être au-dessus ou d'évoluer dans un monde différent.
Mais nous sommes tous réunis autour d'un même sujet, quelque que soit notre niveau ou notre discipline : les chevaux. De là, nous devrions toujours être capables d'échanger et d'apprendre les uns des autres. Faites donc deux minutes un travail sur vous-même pour oublier vos idées reçues, laissez vos préjugés au bout de cette ligne et regardons de plus près la réalité.
Les abus ? Une caractéristique commune à toutes les disciplines équestres, sans exceptions
On ne va pas se mentir, bien des récriminations entendues contre les courses sont malheureusement vraies. Après quatre mois plongée dans cet univers, MON impression est que les abus sont plus nombreux dans les courses de trot (monté comme attelé), ce qui explique ma nette préférence pour les courses de plat. L'image du trotteur entravée est la favorite des détracteurs, mais voici ce qu'il se passe vraiment en terme de dérives et pourquoi :
- Les rênes à piques. Au trot attelé, pour que le cheval ne zigzague pas, on ajoute parfois des piques à l'intérieur des rênes qui vont "toucher" l'encolure si jamais le cheval cherche à se décaler. Je n'en ai jamais vu de près, je ne saurais donc dire la dureté du dispositif, qui n'est au final peut-être pas si différent d'un coup d'éperon...?
- Le surnombre d’enrênements. Au trot monté comme attelé, les chevaux sont parfois tellement saucissonnés qu'ils sont figés dans une attitude artificielle (qui les empêche principalement de baisser la tête et de trop étendre l'encolure, mais quid du gain que cela permettrait pour l'allongement ?) et qu'on se demande comment le jockey s'y retrouve dans son flot de rênes. L'explication à cela est que les trotteurs auraient besoin d'un point sur lequel s'appuyer pour prendre de la vitesse, se stabiliser et pousser (ce qui explique le nombre d'enrênements) et du fait de cette traction, il y a un risque que les rênes cassent (ce qui explique leur nombre, pour toujours en avoir de "rechange"). En plus de ça, il faut forcément des moyens d'action forts pour empêcher les trotteurs fautifs de galoper. Malgré les explications, je reste quand même perplexe, car toutes ces méthodes restent des moyens de contrainte et impliquent une bouche mise à rude épreuve alors que la commissure des lèvres est un endroit sensible (je parle des bouches qui saignent après certaines courses ou c'est bon ?).
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Lui, il a piqué le matos de tous ses copains d'écurie... - Crédit: Blandine Varin |
- Les fers alourdis. Le même principe que pour les Tennessee Walker Horses : mettre des fers lourds avant la prestation pour que le cheval force et lève plus haut les pieds. Les gens du milieu vous diront que c'est pour aider les chevaux à mieux sentir leurs membres et avoir ainsi une meilleure perception d'où ils posent les pieds. Personnellement, je n'ai pas besoin qu'on me tire sur les cheveux pour savoir qu'ils sont là, mais bon.
- Les attaches-langue. Que ce soit fait avec un bas noué sous la mâchoire ou grâce à un mors spécial (plus rare), il est très courant de voir les chevaux de course avec la langue attachée (là encore, ce sont plus souvent les trotteurs que les galopeurs). Pourquoi ? La légende veut que ce soit parce que certains chevaux se seraient étouffés avec leur langue pendant l'effort ou tout simplement car il arrive souvent qu'ils se mordent la langue... Je suis moyennement convaincue. Pourquoi nos chevaux de sport en saut, en cross ou en dressage ne le font jamais, eux ? Ne serait-ce pas plutôt un moyen de s'assurer que le cheval ne passe pas la langue par dessus le mors et se défende ?...
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Sur les photos de trotteurs, cherchez le nœud sous le menton - Crédit : stealthily.wordpress.com |
Pour un article qui se veut pour la réhabilitation des courses hippiques, ça a plutôt l'air mal parti jusque-là, je vous l'accorde. Mais le but n'est pas de se voiler la face, de mentir et de tenter de vous faire croire aux bisounours et aux chevaux de courses roulés dans du coton. Il est toujours important de dénoncer les dérives, de comprendre comment on en est arrivé là et savoir ce qu'on dénonce. Pour autant, toute la filière n'est pas à condamner comme beaucoup le font. Interdit-on les épreuves de cross malgré les nombreux décès et leur dangerosité ? De même pour l'endurance ? Faut-il condamner le dressage entier à cause du rollkur ? Le saut d'obstacle n'est-elle pas la pire des disciplines avec ses chevaux barrés et ses guêtres à clous ? On peut toujours trouver des horreurs quand on prend la peine de chercher. Qu'on se le dise, les dérives existent dans chaque discipline et ne méritent pas la condamnation d'une filière toute entière. Bien au contraire, je pense que l'on pourrait prendre de la graine des bons entraîneurs et jockeys/drivers qui officient sur les hippodromes.
Faire la course, le moyen le plus rapide de s'offrir une belle vie
En dehors des cas de dérives, les chevaux de course mènent une vie souvent meilleure que celle des chevaux d'équitation classique. Tout d'abord car ils pratiquent une discipline qui semble plus adaptée à leur physique : galoper, sans autre demande que celle d'aller vite. Ils sont bien sûre poussés au-delà de leur rythme naturel, mais dans la nature, on pourra voir régulièrement des chevaux galoper bon train pour échapper à un danger ou par jeu. On les verra plus rarement exécuter un piaffer ou une cession sur la main, et encore moins sauter 1m10 et plus (le cheval étant de base un animal très peu souple et donc peu disposé à cette activité).
De plus, pour être préparés à leur course,
les pur-sangs et trotteurs sont traités en vrais athlètes de haut niveau, avec un programme d'entrainement rigoureux et adapté à leurs compétences et objectifs, des soins quotidiens exemplaires (suivi vétérinaire, soins divers) et des équipements de luxe (ce n'est pas rare d'avoir un solarium, douche intérieur, marcheur... Et oui, l'argent rapporté par les courses est bien utilisé !). Rien n'est laissé au hasard et la moindre blessure ou baisse de moral est prise très au sérieux : le cheval est immédiatement arrêté, ausculté et mis en convalescence le temps nécessaire. Maharajah, considéré comme l'un des meilleurs trotteurs au monde, a ainsi été de nombreuses fois arrêté dans sa carrière dès qu'il montrait la moindre faiblesse. Trêve, notre championne de plat française, a subi des examens après deux contre-performances, permettant de découvrir un soucis au dos. Rapide Lebel, un de nos excellents trotteurs, a été arrêté en pleine course alors qu'il faisait son grand retour, simplement car son jockey sentait qu'il n'avait plus envie. Encore récemment,
Be My Girl a été envoyée en thalasso pour se remettre d'une blessure au genou. Et les exemples de ce genre sont encore nombreux.
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C.Soumillon qui vient en personne donner des carottes à Cirrus des Aigles
pour le remercier après une course où ils finissent victorieux - Crédit : Page Facebook de Cirrus
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Si malgré cela un cheval de course s'avère définitivement broke, il ne finit pas forcément à la boucherie comme on nous le raconte.
- Si c'est un cheval lambda, il sera reformé.
- Si c'est un cheval aux origines prestigieuses ou à la carrière fructueuse, il deviendra reproducteur ou poulinière.
A la suite de quoi, ils profitent d'une retraite bien méritée dans les prés, à l'image d'Ourasi qui a profité de l'herbe normande jusqu'à ses 32 ans. Certains prodiges sont même mis à la retraite de façon anticipée tellement leurs résultats sont excellents ! C'est le cas de Frankel, désormais âgé de 7 ans, qui aura couru seulement 14 courses en l'espace de 2 ans... en restant invaincu. Considéré comme l'un des meilleurs chevaux de l'histoire, il se consacre à la monte et au broutage depuis ses 4 ans. Elle est pas belle la vie ? Et même s'il n'avait pas été un crack, il est bien de rappeler que la carrière d'un cheval de course est relativement courte. Si elle commence très (trop) tôt à l'âge de 2 ans, elle se poursuit rarement au-delà de 10 ans (en France, les courses de trot sont d'ailleurs interdites aux chevaux ayant dépassé cet âge). Soit une carrière deux fois plus courte que celle des chevaux classiques qui, s'ils débutent 1 an plus tard, peuvent être encore en activité à 20 ans et connaitre eux aussi le risque de finir dans le mauvais camion.
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Frankel, qui en plus d'être bon est une gravure ! - Crédit : juddmonte.com |
Enfin, concernant les méthodes d'entrainement, beaucoup de professionnels prennent le temps de faire travailler leurs chevaux... sur le plat, avec un cavalier ! Eh oui, certains ont compris qu'il y avait un intérêt à se tourner vers d'autres disciplines pour en tirer des enseignements et en prendre le meilleur. Les galopeurs sont travaillés sur le plat pour améliorer leur souplesse, les trotteurs leur rectitude, les deux pour être remis aux ordres, affiner le dressage, régler des problèmes physiques... Tout ça parce que, même si les courses hippiques brassent énormément d'argent et que certains sont plus passionnés par la course, le jeu, que par les chevaux eux-mêmes, il y a quand même des passionnés, qui aiment profondément leurs chevaux, qui en parlent des étoiles dans les yeux, qui admirent leurs beauté et leurs extraordinaires performances et qui prennent en compte l'animal et son bien-être avant tout.
Le dernier mot Jean-Pierre...
Si cet article vous a convaincu, ou du moins a fait vaciller vos croyances,
je ne peux que vous conseiller désormais d'aller sur un hippodrome et de vous faire votre avis par vous-même. Observez les soins aux écuries, laissez vous griser par l'ambiance des courses. Nous avons tellement de crack dans ce milieu qui font la fierté de notre pays... Et en attendant,
écoutez les interviews passionnées de Corine Barande-Barbe, entraîneur de Cirrus des Aigles. Sentez l'amour et l'admiration pour ses chevaux qui transparaissent dans sa voix, son regard. Allez sur la
page Facebook de Cirrus et laissez vous séduire par sa bouille d'ange, sa joie de vivre, son talent incroyable. Regardez les
vidéos de Trêve, galopeuse française entrée dans l'histoire après avoir raflé deux fois le prestigieux Prix de l'Arc de Triomphe, et admirez sa puissance. Mieux,
vibrez face au duel l'ayant opposée à Cirrus.
Les courses, c'est tout ça aussi : du sport, de l'émotion, de la passion.
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