La fin d'année, c'est toujours le moment idéal pour faire le bilan. Et mon bilan personnel le voici : depuis que j'ai changé ma façon de voir l'équitation et le cheval et que je dis haut et fort que je veux que ma future monture vive au pré et qu'elle soit pieds nus, on me regarde comme une illuminée. Comme si c'était une simple lubie, une nouvelle mode un peu étrange. J'ai donc fait également un bilan des cavaliers qui m'entourent et j'ai l'impression que beaucoup ont oublié ce qu'est un cheval et quels sont ses besoins fondamentaux...
Le cheval est un herbivore
Dans la nature, le cheval se nourrit d'herbe et de d'autres végétaux qui lui apportent des vitamines et minéraux. Son estomac est donc conçu pour digérer des fibres et ce, tout au long de la journée. En effet, contrairement aux vaches (herbivores également) qui possèdent plusieurs estomacs, le cheval n'en possède qu'un. Et celui-ci est particulièrement petit pour sa taille : il ne peut donc faire que des petits repas qu'il doit multiplier pour couvrir tous ses besoins. En vérité, le cheval passe entre 13 et 15 heures par jour (plus l'hiver ou pour les juments gestantes) à brouter. Ce temps consacré à l'alimentation s'explique également par le fait que le cheval ne possède pas de vésicule biliaire : il sécrète de la bile acide (qui sert à désintégrer les aliments pour les digérer) en permanence ! Si son estomac est vide, il ressent donc des brûlures qui peuvent à la longue endommager son système digestif.
Cela étant posé, on voit que le mode d'alimentation en box, s'il n'est pas bien pensé, peut vite poser problème. Les écuries ne proposant pas de foin à volonté sont à éviter : le foin, qui remplace l'herbe, doit être la base de l'alimentation du cheval ! De plus, nous avons vu que le cheval doit manger en permanence pour occuper son estomac et satisfaire ses besoins énergétiques : la paille n'est pas suffisamment nourrissante pour remplir ce rôle et peut être à l'origine de bouchons dans l'appareil digestif lorsqu'elle est consommée en trop grande quantité. Notons également qu'il n'est pas naturel non plus pour les chevaux de consommer des aliments aussi riche que ceux que nous leurs proposons avec nos granulés. Néanmoins, le cheval domestique produit plus d'efforts physiques que le cheval sauvage. Il semble donc normal que sa nourriture soit modifiée dans une certaine mesure et réponde à ces nouveaux besoins. Il convient donc de rester vigilant quant à la composition des aliments que nous leur donnons pour qu'ils répondent strictement à leurs besoins et ne pas leur en distribuer en trop grande quantité. Enfin, il faut noter que les dents des équidés ont une croissance continue et doivent être usées grâce aux mouvements latéraux de la mandibule lorsque le cheval mastique. Les granulés ou les céréales aplaties sont des aliments plus faciles et plus rapides à mâcher que les fourrages. Le risque de surdent et de mauvaise usure des dents est donc plus élevé avec l'alimentation industrielle.
Le cheval est un animal grégaire
Plus les études éthologiques avancent, plus on s'aperçoit que le système social du cheval est complexe et élaboré. Les troupeaux de chevaux sont comme des "groupes familiaux" : un étalon vit avec 3 ou 4 juments et leurs progénitures, ou bien de jeunes célibataires et de vieux étalons ayant perdus leur troupeau se regroupent entre eux. Un cheval ne vit JAMAIS seul. Conformément à l'image populaire, l'étalon dominant est bien en charge de la sécurité du troupeau et de sa cohésion (il éloigne les autres mâles menaçants, garde groupées ses juments, se reproduit...). Il y a bien également une hiérarchie dans le troupeau où les plus âgés sont souvent les plus respectés. MAIS chaque membre du troupeau peut être la fois le dominant et le soumis d'un autre et chaque membre peut prendre à un moment donné le leadership : c'est-à-dire que même si ce n'est pas un dominant, il peut être à l'origine d'une action comme décider d'emmener tout le troupeau à un point d'eau, prendre l'initiative de jouer, de se toiletter... Les interactions entre chevaux sont donc très riches, souvent pacifiques (il est rare d'assister à de vrais combats) et surtout essentielles à l'équilibre du cheval ! Les chevaux apprennent et s'éduquent au contact les uns des autres, ils ont besoin d'être plusieurs pour se rassurer (un cheval monte toujours la garde pendant que les autres broutent ou dorment paisiblement) et les séances de toilettages mutuels permettent de se détendre, celles de jeux de s'amuser... Les chevaux sont véritablement des êtres sociaux et développent d'ailleurs de vraies amitiés ! Ils sont capable de faire la différence entre un cheval inconnu, un qu'ils connaissent de vue et un qui leur est proche.
Peut importe l'espace disponible, un cheval seul pourrait être malheureux ! Crédit : Facebook La Sellerie Ethologique |
Quand on comprend l'importance de la relation aux autres pour les chevaux, la complexité de leurs rapports qui ne sont ni tout blancs ni tout noirs, on comprend alors qu'il est faux de vouloir s'imposer à tout prix comme le maître du cheval et de le faire vivre au box. Le cheval est toujours dans l'échange et peut également nous proposer des choses si on lui en laisse la chance. Il faut pour cela devenir un bon leader, juste et rassurant, qui lui apporte de la sécurité et de l'amitié et lui laisse l'opportunité parfois de prendre "la parole". Mais la vie au box risque de casser toute volonté du cheval : isolé, sans contacts physiques directs avec ses congénères, sans possibilité d'avoir des rapports sociaux normaux (les fameuses séances de toilettage ou de jeu), le cheval est amputé d'une partie de lui-même et peut développer des pathologies tels que le stress, l'anxiété, la dépression, un comportement agressif ou inapproprié envers l'humain (trop collant par report d'affection) etc etc. Le cheval est une proie et compte donc sur le groupe pour assurer sa survie : cet instinct n'est jamais mort, tout comme son réflexe premier de fuir devant tout ce qui l'effraie et qui lui fait préférer les grands espaces dégagés... aux quatre murs du box de 5 mètres sur 4. Des sorties quotidiennes en groupe ne sont donc pas optionnelles mais obligatoires !
Le cheval est un grand marcheur
Lorsqu'il vit en pleine nature, le cheval marche entre 5 et 20 km par jour de manière fractionnée (autrement dit : bien deux bonnes heures minimum), au pas, simplement pour aller jusqu'à un point d'eau, trouver une nouvelle zone où brouter, faire sa vie quoi. Il produit donc un effort très lent, modéré, mais continu. Ses pieds sont naturellement entretenus par ces aller-retour sur différents terrains et le sang circule bien dans ses membres si fragiles (avez-vous déjà comparé la petitesse des pieds et la finesse des jambes d'un cheval à sa stature globale ?) grâce à cette marche constante. Le cheval dort entre 5 et 7 heures réparties tout au long de la journée et la nuit : il reste donc très peu de temps immobilisé et jamais de longues heures d'affilées. Enfin, rappelons que comme pour nous, marcher aide à la digestion. Et quel protocole est à appliquer pour un cheval en colique, cette pathologie si dévastatrice ? Le faire marcher... Ce qu'il pourrait faire au pré.
Le budget-temps du cheval selon ses conditions de vie, révélateur de gros dysfonctionnements... Crédit : dossier documentaire n°8.1 de l'IFCE |
Ce rythme de vie naturel est tout simplement l'opposé de celui proposé en box. Le cheval est immobilisé entre 19 (pour les plus "chanceux" qui sortent au marcheur ou [mieux] au paddock) et 23 heures par jour et lorsqu'il se met enfin en mouvement, c'est pour produire un effort bref mais intense. Tout comme pour l'alimentation, le cheval de nos jours a été sélectionné pour le sport et est plus adapté qu'avant à fournir ces efforts soutenus. Néanmoins, marcher devient alors nécessaire pour sa récupération physique ! Se déplacer, s'étirer pour éviter les courbatures ou engorgements et entretenir son souffle et sa musculature. Ses membres et ses pieds sensibles en ont également besoin, d'autant plus que nous ferrons nos chevaux, ce qui perturbe la circulation du sang dans les membres (voir l'article sur la ferrure pour mieux comprendre la santé des pieds). On a souvent peur que nos chevaux se blessent au pré mais plus personne ne s'étonne que tel athlète équin vivant au box ait souvent les membres gonflés, un peu mal au dos, quelque chose de bloqué... On le fait marcher plus longuement, on appelle l'osthéo mais on ne traite pas le problème à la racine en revoyant les conditions de vie. Quel sportif resterait allongé à longueur de journées dans son lit et ne se lèverait que pour s’entraîner ? Et ce, sans se blesser ?
Le cheval est fait pour vivre au grand air
Système biologique hyper performant pour affronter le froid et les intempéries (poil qui s'épaissit, qui forme des gouttières pour évacuer l'eau), sabots aux pieds pour affronter tous les terrains, rapidité pour échapper à ses prédateurs, capacité d'apprentissage rapide pour assurer sa survie... Malgré nos nombreuses inquiétude et son allure parfois fragile (les frêles pur sang arabes... Pourtant élevés sur de hauts plateaux enneigés pour travailler leur souffle), le cheval a été conçu pour vivre au grand air et est bien plus solide que nous le pensons. Nous oublions que cet animal très ancien a longtemps survécu sans nous et que son principal prédateur est... l'homme. Tout son être est adapté pour l'extérieur comme le prouvent encore les points cités précédemment (l'herbe à la base de son alimentation se trouve dehors et c'est en extérieur qu'il a la place pour marcher et évoluer avec ses congénères).
Encore une fois, l'anthropomorphisme n'a pas sa place dans notre relation aux chevaux. J'en avais déjà parlé au début de ce blog (là), mais sortir Pompom avec ses bandes, ses cloches, sa bavette ect contribue à le fragiliser plutôt qu'à le protéger. La plupart des chevaux en cas de pluie choisissent simplement de tourner le dos à l'averse plutôt que de rentrer. Nous avons tendance à mettre nos chevaux dans du coton et à s'étonner ensuite qu'ils ne soient pas plus solides. Pas besoin d'armure pour sortir notre cheval dehors, pas besoin de le rentrer à la moindre goutte de pluie, laissons les vivre leur vie et respirer l'air pur à pleins poumons (poumons qui sont d'ailleurs fragiles et supportent mal la poussière de l'écurie).
Le cheval est intelligent
Cela semble évident dit comme ça (quoique, pour certains...), mais au quotidien nous avons tendance à oublier ce que ça implique. Dans la nature, le cheval est toujours en quête de nourriture et d'eau, il doit apprendre à reconnaître les plantes toxiques des comestibles, il doit la jouer fine pour trouver sa place dans le troupeau, surveiller son environnement pour éviter les prédateurs, sans cesse s'adapter pour survivre... Au naturel donc, le cheval est bien occupé et a souvent l'occasion de faire fonctionner ses méninges ! Son intelligence est particulièrement liée à sa forte capacité d'apprentissage : il réagit à des stimulis et apprend la façon correcte d'y répondre et ce, durant toute sa vie. C'est sur cette capacité que ce sont basés les chercheurs ayant fait l'étude sur le port de la couverture : les chevaux ont appris qu'en faisant telle action, on leur mettait une couverture, et telle autre, on ne leur mettait pas. Une fois cela intégré, ils ont été capable chaque jour de choisir ce qui leur convenait le mieux et par là, de s'exprimer librement !
Apprendre le moon walk, ça demande bien quelques neurones ! - Crédit: Giphy.com |
Nos chevaux modernes ont beaucoup de choses à apprendre et à découvrir lors du débourrage et de leurs premières années de travail puisque tout est nouveau pour eux. Mais passé cette période, que leur proposons-nous pour faire fonctionner leur intellect, cultiver leur curiosité, et quelle occasion leur laissons-nous de nous proposer des choses ? La vie au box est particulièrement ennuyeuse : peu de choses à regarder, peu de choses à faire pour s'occuper. Mais la vie au pré ne vaut pas forcément mieux : certes elle remplie d'autres besoins du cheval mais nos carrés d'herbe plats sont très peu stimulants cognitivement. C'est dans le travail et dans nos activités quotidiennes que tout va se jouer. Avoir une discipline de prédilection, c'est bien, varier les séances et activités, c'est mieux ! Bien sûr, la répétition est un mécanisme indispensable dans l'apprentissage mais une fois une chose acquise, il faut en proposer une nouvelle et accepter qu'atteindre la perfection prend du temps car il faut régulièrement changer d'activité et d'environnement ! On sait tous qu'il n'y a rien de pire qu'un cheval blasé, et pourquoi devient-il comme ça ? Car ce qu'on lui propose ne l'intéresse plus, car on a perdu son attention en ne le stimulant pas assez, on répétant les mêmes choses et mêmes schémas.
Le dernier mot Jean-Pierre...
En laissant de côté tous nos préjugés, nos croyances, nos habitudes et en se recentrant uniquement sur les besoins des chevaux, force est de constater que plusieurs choses ne sont pas acceptables. Le box seul ou accompagné de quelques heures de paddock en solitaire n'est pas un mode de vie adapté aux chevaux pour cause de manque de contacts sociaux et manque d'espace. Notre mode d'alimentation basé sur les concentrés et les céréales alors que le cheval est un herbivore est également à revoir pour des raisons évidentes de santé digestive et dentaire, qui ont un impact sur la forme générale et le comportement du cheval. La répétition inlassable des mêmes exercices afin d'atteindre la perfection ou des objectifs concours peut très vite nuire à la santé émotionnelle et cognitive de nos chevaux et casser leur bonne volonté.
Et malheureusement, combien de chevaux vivent encore H24 au box, nourris à coup de 8 litres de granulés par repas mais seulement une botte de foin par jour et ne sortent que pour répéter la reprise de dressage à dérouler dimanche ?
Alors biensûr, beaucoup vont se rassurer ou réprouver ces arguments en disant que le cheval domestique a évolué et n'a plus les mêmes besoins qu'un cheval sauvage. C'est à la fois vrai et faux. Comme le dit l'IFCE dans son dossier sur l'éthologie "l’animal domestique a acquis un degré de liberté et d’indépendance par rapport à l’expression des comportements de son espèce ; ce qui lui donne plus de souplesse pour s’adapter à des « conditions inhabituelles »". C'est pourquoi la méthode d'alimentation moderne ou les efforts intenses demandés aux chevaux ne sont pas totalement à condamner : le cheval a été sélectionné pour et a su s'y adapter. Mais on parle simplement de "souplesse" : accepter mieux ne veut pas dire le vivre bien. "Grâce à sa nouvelle indépendance, le cheval domestique (programmé pour vivre en petit groupe dans un large espace) peut ainsi supporter d’être confiné dans une écurie fermée mais cela parfois au prix d’un certain mal-être et de troubles du comportement." On parle bien de "supporter" qui est très péjoratif et induit un effort, et aussi d'un "prix à payer" pour ces modes de vie qui, en réalité, nous arrangent nous dans notre quotidien (gain de temps et d'espace) et font la joie des industriels (la vente de box et de granulés rapporte gros, c'est pour ça qu'on l'encourage !). N'oublions pas que de nos jours, les premières causes de mortalité chez le cheval sont sans surprises les troubles digestifs et locomoteurs...
Pour aller plus loin
- L'organisation sociale du cheval
- L'organisation de la vie sociale des chevaux en images, d'après l'étude d'un troupeau Przewalski
- Pourquoi les scientifiques condamnent la vie en box
- La capacité d'apprentissage des chevaux influencée par leur tempérament
- La maintenance dentaire chez le cheval domestique
- La digestion chez le cheval
- Fait intéressant : la création d'un label en Suisse afin d'encourager les écuries à faire vivre leurs chevaux au pré