Croyance ou véritable théorie : la robe d’un cheval détermine son caractère ?

Récemment, on m’a dit en commentaire sur ma page Facebook que si la robe alezane n’est pas appréciée chez les chevaux, c’est qu’il a été prouvé que les alezans sont plus effrontés que les autres. Mon premier réflexe a été de me dire que c’est une légende urbaine mais après recherche, c’est une remarque fondée dans le sens où on a longtemps considéré que la robe était déterminante dans le caractère du cheval et que la science n’a toujours pas tranché à 100% ! Retour sur diverses croyances et théories.



La théorie des humeurs selon la robe de Solleysel


Jacques de Solleysel (1617 – 1680) était un cavalier passionné et écuyer de renom : il intègre en 1635 l’académie de Pluvinel (Antoine de Pluvinel étant un des précurseurs de l’école d’équitation française, rien que ça) puis devient de 1653 à 1658 directeur de l’académie Bernardi, qui est considérée à l’époque comme une des meilleures écoles d’équitation d’Europe. Il publie par la suite plusieurs ouvrages de référence, dont celui qui nous intéresse et certainement le plus célèbre : « Le parfait maréchal » (1664), un ouvrage volumineux traitant de tous les sujets ayant trait au cheval (méthodes d’élevage, matériel utilisé, soins des chevaux, considérations diverses… pour le récompenser de son talent, Louis XIV le fit même écuyer ordinaire de sa grande Écurie la même année !).

Pourquoi je vous fais ce petit cours d’histoire ? Car Solleysel, avec tout son sérieux et toute son expérience, parlait dans son ouvrage de la théorie des humeurs associée à la robe des chevaux, véritable nouveauté ! La théorie des humeurs existe depuis l’Antiquité et se base sur la croyance que le corps est constitué des 4 éléments fondamentaux, liés à des éléments biologiques, dont les caractéristiques déterminent des « humeurs », c’est-à-dire des états d’âme persistants : 
  • Eau = froid et humide = la pituite (liquide cérébro-spinal) = caractère flegmatique (calme presque apathique) 
  • Feu = chaud et sec = la bile jaune = caractère bileux (inquiet et colérique) 
  • Air = chaud et humide = le sang = caractère sanguin (vif et joyeux) 
  • Terre = froid et sec = la bile noire/atrabile = caractère mélancolique (triste) 

Pour être en bonne santé, il faut que les 4 humeurs soient présentes à parts égales. Pour Solleysel, les humeurs étaient directement liées à la robe du cheval : « Le cheval auquel la pituite domine s'appelle le cheval flegmatique, et est la plupart du temps de couleur de lait, blanchâtre et par conséquent tardif, stupide et pesant ». Ces chevaux sont « lourds, paresseux, charnus, mous, lymphatiques, comme ceux nés et élevés dans des pays bas humides […]. Considérés dans les premières années de leur vie, ils [avaient] ordinairement l’œil couvert, petit, comme enfoncé dans l’orbite, et les paupières épaisses ».

En résumé, selon ses observations : 
  • Robe bai = cheval sanguin 
  • Robes claires (gris) = cheval flegmatique 
  • Robe noire = cheval mélancolique 
  • Robe alezane = cheval bileux

Théorie des humeurs selon la couleur du cheval.
L'alezan, sanguin ? Je vois pas du tout de quoi vous parlez !


Les chevaux à robe unie sont donc peu appréciés car ils ont un trop plein d’une certaine humeur. Le cheval parfait devrait plutôt avoir la robe et le crin de couleurs différentes, et des balzanes ou une liste pour équilibrer les humeurs. Il semblerait d’ailleurs que Solleysel ait écrit dans son ouvrage que les maquignons dessinaient des pelotes sur le front des chevaux noirs zain (donc sans poils blancs) afin de mieux les vendre en faisant croire à un meilleur équilibre. A contrario, Solleysel considérait que des balzanes trop hautes étaient mauvais signe car elles faisaient penser à la couleur d’une pie (l’oiseau au ventre blanc) qui n’est pas un animal aux grandes qualités.

Depuis, bien évidemment, la théorie des humeurs a totalement été abandonnée et réfutée par la médecine moderne (car oui, on soignait différemment suivant les humeurs : on pratiquait plus facilement une saignée sur un sanguin malade, car il avait justement trop de sang…).



La robe unie valorisée par les cavaliers arabes du 19ème siècle


On avance dans le temps pour arriver en 1861, époque où le général Eugène Daumas, passé par l’Ecole de Cavalerie de Saumur, publie un recueil d’observations faites pendant ses campagnes en Algérie et autres pays du Moyen-Orient : « Principes généraux du cavalier arabe ». Terre des bédouins, peuple cavalier par excellence, le général revient avec de nombreuses maximes très précises sur l’analyse de ce qu’est un bon ou un mauvais cheval et comment le soigner. Au sujet des robes, il est clairement dit :

« Choisis des robes franches et foncées. Les robes claires et lavées, ainsi que les taches blanches à la tête, sur le corps et aux extrémités, surtout quand elles sont larges, longues ou hautes ; regarde-les comme des dégénérescences de race et des indices de faiblesse. »

Les croyances des cavaliers arabes sont donc totalement à l’opposé de celles de Jacques de Solleysel, puisqu’ils favorisent les robes unies et foncées ! Là déjà, on peut remettre en doute la fiabilité de la théorie selon laquelle il y aurait un lien entre la robe et le caractère, puisque les attributs de chaque robe diffèrent selon les goûts et les observations de chacun.

Pur sang arabe noir.
Du coup là, on est sensés être pas loin de la perfection...
(je suis plutôt d'accord ♥)



Le nombre de balzanes, signe de qualité


« Cheval de un, cheval de rien / Balzane une, cheval de fortune
Cheval de deux, cheval de gueux / Balzane deux, cheval de gueux
Cheval de Trois, cheval de roi / Balzane trois, cheval de roi
Cheval de quatre, cheval à abattre / Balzane quatre, cheval à abattre »

Qui n’a jamais entendu ce proverbe, dont on n’arrive pourtant pas à rétablir l’origine ? Très populaire, je le comprenais pourtant à l’envers (et ça me fait faire des vers, ahah). « Balzane trois, cheval de roi » ne signifie pas que le cheval a une grande valeur ou est un fier destrier, non. La croyance populaire veut que la corne blanche soit plus fragile que la noire. Un cheval avec une balzane a plus de chance d’avoir un sabot blanc, donc un pied plus fragile et difficile à entretenir.

De là : un cheval avec une seule balzane est un « cheval de rien » car il ne coûte rien à entretenir avec un seul pied blanc. C’est un « cheval de fortune » car on a de la chance qu’il n’ait qu’une balzane, et on pourra justement garder notre fortune. Le « cheval de gueux » peut être entretenu par un gueux, donc quelqu’un d’un niveau social modeste voire bas. Avec trois balzanes, donc trois pieds fragiles, seul un roi peut entretenir ce type de cheval. Et enfin avec quatre balzanes, on abat plutôt que de s’embêter avec 4 pieds défectueux.

Même si ce proverbe tient plus de la comptine qu'on répète sans être trop prise au sérieux, il est quand même largement connu et méritait d'être cité.



Les préjugés actuels et la science


Encore aujourd’hui, de nombreuses croyances persistent, auxquelles la science apporte toutefois des réponses. Par exemple, on répète encore qu’un cheval au tour de l’œil blanc est un cheval fou ou du moins « sur l’œil », justement. Sans doute car cela fait penser aux chevaux affolés qui ouvrent grands les yeux au point que l’on voit le blanc autour. Mais en réalité, si certains chevaux ont le tour de l’œil blanc même au repos et calmes, c’est tout simplement car leur sclérotique (membrane entourant les yeux) est blanche ! La majorité des chevaux l’ont colorée, d’où le fait qu’on le remarque et que cela surprenne sur les quelques spécimens où elle est ivoire. C'est tout simplement une caractéristique génétique, comme la couleur de la robe.

Cheval à l'oeil blanc fou.
Les appaloosas ont souvent le tour de l'oeil blanc, ce qui tient plus
d'une caractéristique de la race que d'une folie généralisée !


Concernant la corne blanche dont on parlait un peu plus tôt, a priori aucune étude n’est venue confirmer que la couleur aurait un quelconque lien avec la qualité du pied. Peut-être la corne blanche est-elle un peu plus friable, mais la solidité dépend de d’autres paramètres : génétique, entretien des pieds, nourriture, conditions de vie… Il semblerait plutôt que dans l'imaginaire commun, le blanc soit associé à une certaine notion de faiblesse : la peau rose sous le poil blanc qui est plus sensible et fragile, notamment aux coups de soleil, la robe « blanche » (en réalité grise) sujette aux mélanomes, l'albinisme (qui n'existe pas chez les chevaux)…

Enfin, reparlons des fameux chevaux alezans de l’introduction : la croyance selon laquelle ils sont plus caractériels est tellement tenace que les juments (= pisseuses) alezanes sont même devenues les bêtes noires de certains cavaliers ! À tel point qu’une étude a été menée en 2016 par des chercheurs du Département de l’élevage et la génétique animale de l’université suédoise des sciences de l’Agriculture d'Uppsala, afin de déterminer si la robe, et plus particulièrement l’alezan, a bel et bien un lien avec le comportement du cheval.

L’étude a conclu que rien n’indique que les chevaux alezans sont plus susceptibles ou difficiles que les autres au quotidien (entrainement et entretien). Par contre, ils ont en effet remarqué qu’ils font plus souvent preuve d’audace/courage (ce qui est positif !) face à l’inconnu et à leur environnement que les autres robes. Cela suggère que la sélection génétique du phénotype alezan peut avoir involontairement entrainé la sélection de ce trait de caractère, même si rien ne prouve pour le moment cette théorie et que d’autres études seraient nécessaire pour le confirmer. Le doute est encore permis…



Le dernier mot Jean-Pierre…


En bref, on constate que l’association robe – caractère ne date pas d’hier et tient un peu du délit de « sale gueule » : on sait que ce n’est pas rationnel, mais on ne peut étouffer son ressentit et on trouve toujours autant d’exemples que de contre exemples dans les expériences de chacun.

La science laisse encore planer un petit doute : on sait déjà que la robe grise est "associée" à une maladie (mélanomes causés par l’accumulation de pigments, en bref), alors pourquoi une robe ne serait pas associée à un trait de caractère ? Toujours est-il que sans conclusion ferme, la dernière étude alerte sur un phénomène, lui, bien réel : passer sous silence la mal-être et les soucis de certains chevaux à cause de nos croyances sur les robes. Un cheval alezan rue et se défend sous la selle ? C’est juste son mauvais caractère (mais enfaite non, il a mal au dos car sa selle ne lui va pas). Un cheval aux pieds blancs déferre sans cesse ? C’est juste sa corne blanche de mauvaise qualité (alors qu’il a une carence alimentaire qui affecte la qualité de sa corne). Certains cavaliers ne prennent pas au sérieux les signaux envoyés par leurs chevaux, sous prétexte que ce comportement serait "dans leur caractère". Attention à toujours faire un check-up véto avant de sauter à des conclusions simplistes ! 

Peu importe la robe, on aime nos chevaux car ils sont tous hauts en couleurs, et c’est pour ça qu’ils méritent le meilleur !






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