La surprotection des chevaux et ses effets néfastes, on en a déjà parlé sur ce blog. Mais voilà que des études viennent questionner l'usage de simples protections basiques que l'on a tous dans nos placards ! Même Julien Epaillard, cavalier de saut d'obstacle au niveau international, a été vu sur ses tours sans guêtres pour protéger sa jument qui enchaîne quand même des obstacles d'1m50... Pourquoi ? Ferions-nous courir des risques à nos chevaux en protégeant leurs membres ?
Les protections, facteurs d'inflammation des tendons ?
Les études scientifiques menées ces dernières années dans le milieu hippique s'accordent sur le constat suivant : les atteintes aux tendons sont le type de blessure les plus fréquentes chez les chevaux de sport (courses hippiques, saut d'obstacle, cross...) et entraînent dans la majorité des cas soit l'arrêt de leur carrière, soit une réduction définitive de leurs capacités sportives (ou tout du moins, une baisse de leur niveau de compétition). Si de nombreux facteurs - tels que la qualité des sols, la fréquence d'entrainement, le type d'entrainement, l'intensité d'exercice... - peuvent expliquer cette recrudescence de tendinites et compagnie, il en est un en particulier qui a été étudié : l'utilisation de protections pour les membres. Car en effet, quel est le point commun à la quasi totalité des chevaux de compétition ? Ils portent des bandes ou des guêtres dès qu'ils font un pas hors de leur box.
L'étude de Westermann "Effect of a bandage or tendon boot on skin temperature of the metacarpus at rest and after exercise in horses" a comparé la température des tendons de 10 chevaux sur une jambe nue, sous une bande et sous un protège tendon et ce, au repos et après 20 min de longe. Si aucune différence notable n'a été relevée au repos, une grosse élévation de température a été enregistrée au travail, particulièrement sous les bandes et de manière un peu moindre sous les protèges tendons. L'étude concluait que les protections des membres provoquent une hyperthermie, c'est-à-dire qu'elles augmentent la température et la vitesse d'échauffement des tendons à l'effort.
Or, une autre étude menée 1 an plus tôt, "The influence of boot design on exercise associated surface temperature of tendons in horses", avait mesuré que la température des tendons lors d'un effort intense peut atteindre 45°... température à partir de laquelle une dégénération des tissus est constatée à cause de la chaleur. Il suffirait de 10 min entre 45° et 48° pour que les cellules meurent. Et ces températures sont atteinte assez facilement avec des protections aux membres, puisqu'elles accélèrent et augmentent la diffusion de la chaleur produite dans les tendons par l'effort physique. Ces températures paraissent si élevées que l'ont peut se dire que seul un effort violent permettra de les atteindre, nous protégeant de ces risques avec notre équitation de niveau loisir-petite compétition. Mais la même étude a enregistré, après récupération, des températures des tendons entre 21° et 23° pour les chevaux jambes nues, entre 26° et 33° pour les chevaux avec des guêtres perforées et entre 29° et 37° pour les chevaux portant des guêtres classiques. 37° après récupération, suite à une simple séance de pas-trot-galop. Seulement 7° en-dessous des températures limites : vous imaginez donc à quelle vitesse elles peuvent être atteintes à l'effort...
Les protections sont-elles à bannir ? Lesquelles choisir ?
Une étude de 2017, "Changes in temperature of the equine skin surface under boots after exercise", s'est concentrée sur l'analyse et la comparaison de plusieurs types de protections des membres. La température des tendons a été enregistrée à froid puis directement après une détente (10 min de pas, 5 min de trot, 2,5 min de galop, 5 min de pas). Voici les variations de températures enregistrés après l'effort :
On a donc jusqu'à 13° de différence entre une jambe nue et une protégée ! Les différentes études sont unanimes : les bandes sont le type de protection provoquant la plus grande hyperthermie ! À contrario, le néoprène est la matière qui semble obtenir les meilleurs résultats en matière de dispersion de la chaleur, à condition de le choisir le plus fin possible. Les guêtres perforées obtiennent également des résultats intéressants dans les différentes études grâce à leurs aérations qui permettent une meilleure dispersion de la chaleur. Étrangement, le fait que les guêtres soient ouvertes à l'avant ne semble pas avoir compté dans la balance.
L'étude conclut que ce qu'il faut retenir, c'est que tous les types de protection, sans exception, limitent l'évacuation de la chaleur et provoquent un échauffement des tendons. Cette hyperthermie répétée provoque sur le long terme des dommages tels que l'altération ou la mort des cellules du tendon. L'effet néfaste n'est donc pas visible immédiatement, mais est insidieux, en plus d'être vicieux. Car en constatant une faiblesse des tendons, la majorité des cavaliers va alors avoir tendance à... protéger encore plus. Il faut donc encore une fois revenir à une utilisation raisonnée des protections et non plus systématique (si Toupie de la Roque peut sauter 1m50 sans protections, Pompom du Pré Rond peut bien faire une balade ou une séance de plat jambes nues !) et les choisir en tenant compte de leur design : matériaux respirants (type néoprène), idéalement perforés et les plus fins possibles afin de permettre à la fois l'aération des tendons et l'évaporation de la chaleur.
Le dernier mot Jean-Pierre...
Les différentes études n'ont pas pu démontrer de manière catégorique que les protections SONT la cause d'atteintes aux tendons mais bien qu'elles provoquent un échauffement plus rapide des tendons, ce qui les endommage sur le long terme... ou de manière plus rapide, si cette hyperthermie est combinée à d'autres facteurs (mauvais terrains, efforts trop intenses, mouvements trop répétés). Des études complémentaires seraient nécessaires pour appuyer et étayer ces premières conclusions mais en attendant, une attention particulière doit être portée au type de protections que nous mettons à nos chevaux.
De mon côté, ces études appuient certaines de mes convictions : je n'aimais déjà pas les bandes (sauf utilisées au repos) et les protections en moumoute (aucune aération et matière pouvant irriter et chauffer ++ au moindre frottement, véritable éponge qui devient lourde en prenant l'eau, salissant), il est désormais certain que je ne serai pas cliente de ce genre de produits ! Jusqu'ici, je ne protégeais qu'à la longe et à l'obstacle. J'estime qu'un cheval équilibré et bien dans son corps est capable de poser ses pieds sans se marcher dessus, ou doit l'apprendre en développant sa proprioception... ce qui ne risque pas d'arriver s'il est dans du papier bulle à partir du genou. Ce principe est encore plus vrai avec les chevaux pieds nus qui risquent moins de blessures en se touchant que les chevaux ferrés (est-ce qu'on ouvre la porte à la discussion "s'il y avait moins de chevaux ferrés, on pourrait moins protéger ?"). J'ai récemment arrêté de protéger à la longe, n'y voyant plus d'intérêt : je ne mets que des cloches car après tout, s'il se touche, ce sera en couronne ou sur les glomes. Et suite à la rédaction de cet article, je vais me mettre à la recherche de guêtres perforées souples et légères car des années de conditionnement + un instinct mère poule ne me permettent pas de laisser mon cheval jambes nues à l'obstacle pour le moment, d'autant que nous sommes encore en apprentissage sur les barres.
Pour aller plus loin
- L'article de Podologie équine libre, encore plus complet et qui m'a permis de trouver mes sources
- Effect of a bandage or tendon boot on skin temperature of the metacarpus at rest and after exercise in horses par Westermann (ou le résumé de cette étude par le magazine The Horse)
- The influence of boot design on exercise associated surface temperature of tendons in horses par Hopegood
- Changes in temperature of the equine skin surface under boots after exercise par Solheim
- The effect of exercise-induced localised hyperthermia on tendon cell survival par Birch